Ordination sacerdotale de notre frère Aimé
Homélie pour l’ordination sacerdotale du f. Aimé (17 juin 2017)
Chers frères et sœurs, moines, moniales, prêtres, religieux et religieuses, parents et amis venus ce matin prier avec nous aujourd’hui, un moine de plus de 52 ans, notre frère Aimé, va être ordonné prêtre pour le service de ses frères moines, de ses sœurs moniales, des hôtes qui viennent au monastère et il a choisi cette page d’Evangile. Je tiens à l’en remercier, car ces quelques mots de la Parole de Dieu nous permettront de mieux comprendre ce qu’est le sacerdoce dans la vie monastique.
Ce passage de l’Evangile de Matthieu fait écho à une situation de conflit entre les Apôtres. Quelques versets avant ce récit, Jésus, pour la troisième et dernière fois, a annoncé à ses apôtres qu’il monte à Jérusalem pour y être tué, on va se moquer de lui, il sera flagellé et il sera crucifié… et le troisième jour, il ressuscitera.
Après ces paroles fortes, où Jésus partage à ses apôtres le cœur de sa vie et de sa mort, voilà que ceux qui lui sont plus proches, Jacques et Jean, ceux-là même qu’il a introduit avec Pierre, davantage, dans son mystère de la Transfiguration, réclament plus de pouvoir, plus d’honneur, plus de prestige que les autres.
Jésus a tout fait pour que ses Apôtres comprennent que la vraie gloire est dans l’humilité et dans l’effacement, dans le service et parfois même dans l’humiliation et le déshonneur, dans l’échec de la Croix. Et voilà que leurs désirs à eux sont de dominer les autres. Parce que Jésus les a introduits davantage dans son mystère, ils croient qu’ils sont supérieurs aux autres : « Ordonne, demande leur mère, que mes deux fils siègent l’un à ta droite et l’autre à ta gauche ». Aussitôt cela crée dans le groupe des Apôtres une division, une indignation contre les deux frères !
Jésus ne condamne pas cette mère, pas plus que ses enfants, Jacques et Jean, il ne veut pas rajouter à cette situation, à cette tension, il se contente de leur dire l’essentiel : je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir… vous aussi soyez les serviteurs, les esclaves de vos frères !
Pour Jésus, il y a là un élément incontournable, fondamental : nul ne peut le suivre sans devenir un serviteur. Parce que Dieu lui-même est humble par essence, aucun disciple ne peut se réclamer de Jésus sans être humble, et le sacrilège est que celui qu’il a choisi pour être ses mains, son cœur, ses yeux, sa parole soit orgueilleux et dominateur ! Un tel disciple, un tel moine, un tel prêtre, un tel évêque rendrait inaudible le Mystère du Christ. Jésus insiste : « parmi vous, il ne devra pas en être ainsi ».
C’est pour cette raison chers frères et sœurs qu’au début de la vie monastique, en Egype, en Palestine, en Syrie et en Perse, les moines étaient hostiles à ce que l’un d’eux soit ordonné prêtre ; ils préféraient le dimanche aller à la messe en paroisse plutôt que de prendre le risque de voir l’orgueil spirituel se glisser dans le cœur de l’un de leurs frères en lui conférant l’ordination.
Dans la Tradition monastique bénédictine, il y a toujours eu des prêtres diocésains qui entraient comme moines, et des frères qui étaient ordonnés prêtres. Ceci dit, on retrouve dans notre Règle monastique qui a plus de quinze siècles, la même appréhension et la même mise en garde contre la tentation de l’orgueil et la domination dans le sacerdoce. Dans sa règle St Benoît prévient : « le moine qui devient prêtre fera bien attention à ne pas se croire grand et à ne pas devenir orgueilleux ». Être appelé au ministère ordonné n’est pas pour Benoît une promotion interne dans la communauté ou dans le Corps de l’Eglise. Benoît rappelle au prêtre de sa communauté qu’il est plus que les autres soumis à la Règle et que ce n’est pas parce qu’il est prêtre qu’il doit oublier l’obéissance (c’est-à-dire l’amour). Dans le cas où il l’oublierait, il perdrait sa vie monastique. Benoît insiste : sauf lorsque tu célèbres l’eucharistie, ton rang en communauté n’est pas celui de ton ordination, mais celui de ton entrée au monastère. Si malgré tout, le prêtre reste orgueilleux, Benoît prévoit que l’on en avertisse l’évêque qui l’a ordonné…
Si Benoît écrit ses versets et avertit les prêtres avec autant de rudesse, c’est bien parce qu’il y a eu des problèmes dans sa propre communauté, des divisions, et que fort de son expérience, il met en garde les prêtres pour les siècles à venir.
Il y a cependant une seconde raison, plus capitale encore, le risque de diviser la communauté par un esprit de domination. Benoît considère le monastère comme une Eglise et comme une famille : l’unité est capitale et celle-ci repose sur deux piliers. 1) Il faut que chaque frère ait une authentique relation au Christ, une capacité à vivre seul, uni au Christ, au milieu de ses frères car notre unité ne repose pas sur l’amitié ou sur un choix humain, mais sur la volonté du Christ qui nous a rassemblés. 2) La valeur des frères ne repose pas sur leurs compétences, mais sur leur union au Christ.
S’il n’y a pas cet esprit-là, le frère moins doué se sentira exclu, marginalisé et introduira le murmure, or l’unité d’une communauté ne repose pas sur le niveau intellectuel, mais sur la prise en compte de la faiblesse des frères, toutes les faiblesses : physiques certes, mais aussi intellectuelles, morales, humaines… Lorsque les plus faibles sot méprisés, marginalisés, oubliés, nous avons inévitablement des frustrations qui entrainent la division de la famille humaine, chrétienne, diocésaine, monastique. Pour que l’Eglise soit famille de Dieu, il faut prendre en compte les faibles, et nous sommes tous faibles dans une communauté, c’est pour cela que nous devons nous servir les uns les autres et que les faiblesses de nos frères sont nos Maîtres que nous soyons abbé, prieur, cellérier, prêtre, cuisinier, hôtelier, maitre de chœur, ou sacristain…
Cher frère Aimé, tu vas devenir prêtre dans quelques instants, permets-moi de te donner quelques conseils puisés dans l’esprit de notre Règle :
- En communauté, tu seras toujours d’abord moine, c’est cette vie que tu as choisi et à laquelle tu as été appelé, si tu donnes toujours la priorité à ta vie monastique, tu seras un saint prêtre et tu seras un artisan de l’Eglise, famille de Dieu, de l’Eglise, Peuple de Dieu, Peuple de frères !
- Lorsque tu célèbreras l’eucharistie, tu auras à commenter la Parole de Dieu, pense toujours que, dans l’assemblée, il y a un homme ou une femme qui est dans la détresse, c’est toujours à celui-là que tu dois t’adresser. Tu as beaucoup étudié, tu as beaucoup lu, tout cela tu l’as intégré dans ta tête et dans ton cœur, mais ce n’est pas cela que tu dois répéter ; éclairé par la Tradition de l’Eglise, tu dois plutôt dire les mots qui touchent le cœur des pauvres et des pécheurs, de ceux qui sont les préférés du Christ. Comme le dit saint Benoît, il ne faudrait pas que l’idéal des forts décourage les faibles. Ton souci doit être de dire l’amour personnel de Dieu avec des mots simples à ceux qui t’écoutent et qui sont découragés par le poids de leur misère.
- Lorsque tu entendras en confession la misère des hommes, que rien ne te choque, que rien ne te trouble, n’oublie jamais que si tu n’es pas protégé par la grâce de Dieu, tu es capable de faire pire que le pire des pécheurs : ne juge pas, ne condamne pas, mais apporte par une parole, par un sourire, la lumière de la miséricorde de Dieu qui ne voit pas le pécheur mais l’homme créé à l’image de Dieu. Si tu y réussis, tu seras le témoin émerveillé du fait que les publicains et les prostituées te précèderont dans le Royaume de Dieu. Si tu considères la confession comme un « pouvoir » que tu as reçu à la manière du monde, tu joueras au justicier et au moraliste et tu trahiras celui dont tu n’es que le sacrement, le signe visible d’une réalité invisible, celle du Christ, le bon berger, doux et humble de Cœur, plein d’amour et de tendresse.
- Apprends à aimer ta croix, celle de ton combat spirituel. Le Christ ne t’a pas choisi comme moine et comme prêtre malgré tes défauts et tes faiblesses, mais à cause de tes défauts et de tes faiblesses. Tes défauts te font souffrir, ce sont eux dont le Christ se servira pour former en toi l’être sacerdotal. L’expérience de l’humiliation de notre péché et de nos limites humaines, l’expérience même de l’échec et de l’humiliation sont indispensables pour être un témoin de la miséricorde. Ce que le Christ a vécu sans avoir fait l’expérience du péché, le prêtre ne peut en témoigner et en être le signe que grâce à l’expérience de la miséricorde de Dieu dans sa vie. Ce sont les larmes de ton péché qui feront de toi un témoin de la grâce de Dieu.
- Si tu agi ainsi, tu découvriras alors comment servir ta communauté, comment être humble et effacé dans le service. Tu comprendras mieux cette parole de saint Vincent de Paul : « il faut savoir se faire pardonner le pain que le pain que l’on donne aux pauvres » car les service de tes frères et de tous ceux qui viendront au monastère doit être exercé avec le tablier du service, celui de l’effacement et de l’infini respect. Tu seras alors heureux du bonheur qu’apporte l’Evangile : « Heureux vous les pauvres en esprit, le Royaume de Dieu est à vous ».
A la fin de la messe…
Chers frères et sœurs, chers parents et amis du f. Aimé, chers notables,
Je ne reprendrai pas vos noms dans le détail ; tous ceux que le frère Aimé a énumérés, je tiens à les remercier de tout cœur au nom de tous mes frères de ce monastère ! Je n’oublie pas non plus le papa de notre frère Aimé, qu’il soit remercié du haut du ciel pour ce qu’il a été pour notre frère et pour toute sa famille !
Je tiens aussi à remercier de tout cœur et avec émotion les membres de la famille de notre frère Emmanuel qui sont venus ce matin pour partager notre prière. Nous savons et nous croyons que notre frère Emmanuel, tout proche du Christ est aussi tout proche de nous ce matin.
Il y a un proverbe dans mon pays qui dit que les amis de mes amis sot mes amis. Grâce au frère Aimé, nous sommes devenus tous frères, tous amis : « Ya ka ki, anianma ».
Frères et sœurs, je souhaite à chacune de vos familles, de vos communautés religieuses, au presbyterium de notre diocèse de devenir « Eglise, famille de Dieu », des familles où tous seront serviteurs les uns des autres : aimons l’humilité, aimons cette vocation chrétienne du service humble et discret et notre monde sera beau !
Frères et sœurs, que Dieu notre Père nous bénisse toujours !
Man ye si, gna mien, in’hira wo han ye dahra !
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