« La mission dans un monde en fuite »

Le titre donné à ces lignes pourra surprendre. Il reprend celui d’une conférence, donnée il y a dix-huit ans par le Père Timothy Radcliffe, alors Maître Général de l’Ordre dominicain. Je n’ai jamais rien lu d’aussi beau et d’aussi actuel sur le thème de la mission !
Il interroge la théologie de la mission dans le contexte de la mondialisation, celui d’un monde qui perd ses repères traditionnels et qui ne sait pas trop où il va, un monde angoissé par l’avenir de sa planète, par les flux migratoires, par les manipulations génétiques, par la misère, les guerres, les violences… A ces angoisses, il oppose une certitude, celle de sa foi qui lui enseigne que le monde a un avenir, qu’il va vers le Royaume de Dieu, dernière destination de l’humanité ; cette certitude, lorsqu’elle se traduit par des actes, le P. Radcliffe l’identifie à la Sagesse, laquelle s’incarne par une présence, une épiphanie et une proclamation.
Le « missionnaire » du XXIe siècle, lorsqu’il apporte cette Sagesse au monde, offre à l’homme moderne la possibilité de se libérer de ses angoisses.
Une présence.
Dans notre village planétaire, il n’y a plus un continent qui envoie des missionnaires dans les « pays de mission », mais tous les pays reçoivent cette Sagesse d’hommes et de femmes qui proviennent de tous les continents ; certains vivent parfois dans des contrées hostiles à leur pays d’origine, d’autres sont méprisés ou « portent dans leur chair les ruptures qui crucifient l’humanité ». Cette présence suppose la mort à soi-même car, sans mourir à lui-même, nul ne peut être présent et devenir un signe du Royaume pour ne faire qu’un avec l’autre. Le P. Radcliffe rapporte cette parole d’un frère dominicain qui vit au Pakistan, interrogé pour savoir s’il va rester dans ce pays : « j’y resterai jusqu’à ce que je sois fatigué de mourir ». Cette perspective hautement catholique parce qu’universelle, lui permet de définir le missionnaire comme « un futur citoyen du Royaume de Dieu » ; de fait, pour un chrétien, le Règne de Dieu, c’est toujours le pays où il vit aujourd’hui.
Cette présence suppose la fidélité ; elle est exigeante et se situe aux antipodes du tourisme. Elle consiste à demeurer, alors même que parfois, ceux que le missionnaire est venu rejoindre ne veulent plus de lui, de sa culture d’origine ou de la couleur de sa peau.
Une épiphanie.
Dans beaucoup de pays du monde, être là, c’est la seule chose que peut faire le missionnaire. C’est le cas de chrétiens en Afrique du Nord ou en pays musulman, mais aussi de chrétiens africains ou asiatiques qui vivent en Europe dans des pays parfois sécularisés et repliés sur eux-mêmes. Et pourtant… Cette présence provoque une épiphanie de l’amour qui casse une spirale de la violence, de l’inconscience, de la superficialité, de la bêtise ! C’est le « déjà-là » du Royaume de Dieu. Le P. Radcliffe, en l’an 2000, donne l’exemple d’une communauté de moniales dominicaines du Nord Burundi : « Tutsi et Hutus y vivent et prient ensemble, dans la paix, sur une terre de mort ». Une petite épiphanie du Royaume !
Une proclamation.
Annoncer Jésus-Christ fait partie de l’être baptismal, mais notre monde est sceptique face à toute proclamation… voilà qui oblige le « missionnaire » à approfondir son humilité devant le Mystère, sans renoncer pour autant à sa foi, ou à la certitude que ce en quoi il croit pourrait donner le bonheur à ses frères. Confiance et humilité ! La situation de notre monde, l’incroyable village planétaire, oblige plus que jamais à l’honnêteté intellectuelle, à employer des mots qui reflètent à la fois la fidélité au Mystère et l’écoute des hommes. Le P. Radcliffe résume ainsi sa conception de la proclamation dans le monde qui est le nôtre : « Ce n’est qu’en apprenant à demeurer dans le silence de Dieu que nous pouvons découvrir les mots qu’il faut, des mots qui ne soient ni arrogants ni vides, des mots qui soient à la fois confiants et humbles. Si le centre de notre vie est le silence même de Dieu, alors seulement nous saurons où finit le langage et commence le silence, quand proclamer et quand nous taire ».
Si le monachisme bénédictin se caractérise par le vœu de stabilité, par l’enracinement dans un lieu donné et dans une communauté particulière, paradoxalement, la réflexion du P.Radcliffe vient rejoindre en profondeur l’expérience monastique qui porte dans sa genèse une aspiration à l’aventure spirituelle. Des millions d’hommes ont mené la vie monastique chrétienne sous la forme de l’itinérance (xeniteia) en quittant leur pays pour marcher sur les routes du monde, désireux d’imiter le Christ dans sa kénose et son humilité. Plusieurs sont devenus (malgré eux) des évêques et des fondateurs d’Eglises. Au cœur de notre chère Occitanie, la ville même de Béziers en témoigne, elle qui a le chameau pour emblème et saint Aphrodise (un moine itinérant sans doute originaire de Syrie ou de Perse) comme saint patron et évangélisateur ! Assassiné par la population locale, il n’en a pas moins été celui qui lui a apporté par sa simple présence le don de Jésus-Christ.
Ce mystère nous dépasse ; il est Celui de Dieu et de son Eglise qui est tout à la fois Peuple de Dieu, Corps du Christ et Temple de l’Esprit ; l’Eglise tire son unité – disait saint Cyprien au 3èmesiècle – de l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit.
Dans une communauté monastique où tous les frères sont issus du même terroir, ou dans une communauté où les frères viennent de tous les pays du monde, les différences sont telles que chacun apprend à se « tenir là » sans se poser les questions de savoir s’il est aimé ou pas, souhaité ou pas, sans s’interroger pour savoir si sa parole est reconnue, acceptée ou rejetée… Qu’importe ! L’amour offert gratuitement est toujours fécond et finit par révéler une parole qui vient d’ailleurs et qui exprime bien plus que la sienne. C’est aussi cela la mission !
C’est l’altérité qui permet la mission. Elle est voulue de Dieu car elle est semblable à Lui en son essence. Une Altérité divine qui n’est que relation car Dieu est relation !
Si nous ne le faisons pas, si la peur de l’étranger nous empêche de l’accueillir, nous passerons à côté de la présence du Christ, de son épiphanie et de sa proclamation.
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