Chapitre Premier de la Règle de saint Benoît (2015)




Chapitre Premier de la Règle de saint Benoît (2015)
| PHOTO: http://www.benedictinesjoliette.org/saintbenoit.html

 

Chapitre 1er de la Règle de saint Benoît

 

1 Il y a manifestement quatre sortes de moines.

2 La première est celle des cénobites,

c'est-à-dire de ceux qui demeurent dans les monastères,

militant sous une règle et sous un abbé.

 

Commentaire Règle 1,1-2

 

C'est à travers tous les 73 chapitres de la Règle que Benoît expliquera ce qu'est un cénobite.  Il en donne ici, dans le verset 2 de ce chapitre, une description lapidaire, qui montre bien où est pour lui l'essentiel.  Un cénobite c'est quelqu'un qui: a) appartient à un monastère, c'est-à-dire une communauté stable, et qui vit ("milite", dit Benoît) b) sous une règle et c) sous un abbé. 

Ce sont là les trois éléments essentiels.  Tout le reste peut être important, mais reste secondaire.  L'histoire nous montre qu'il y a plusieurs catégories de cénobites.  Au sein d'un monastère cénobite la vie pourra être structurée de façons fort diverses.  L'équilibre entre prière commune et prière privée pourra varier.  On pourra dormir en dortoir ou en cellules séparées.  On pourra faire sa lectio au cloître, en cellule ou en scriptorium.  On pourra travailler en commun ou dans des ateliers séparés.  Tout cela peut varier selon la grâce propre de chaque communauté et de chaque personne.  Ce qui fait l'élément fondamental d'une communauté c'est la koinonia (un mot tout à fait du Nouveau Testament avant d'être pachômien...), c'est-à-dire la communion profonde entre les personnes d'un même monastère.

Le deuxième élément mentionné par Benoît, c'est la "Règle".  Ceux qui viennent au monastère sont des personnes qui, comme l'a dit le Prologue, désirent le salut et désirent militer sous le Christ, le véritable roi.  Cela peut évidemment se faire dans le monde et dans divers états de vie.  Une communauté monastique est un groupe de personnes qui ont non seulement toutes perçu cet appel à se laisser  transformer à l'image du Christ, mais ont choisi de le faire selon une "Règle de Vie" commune librement choisie.  Personne n'est obligé de devenir moine.  Au candidat, on lit le texte entier de la Règle trois fois durant sa période de probation, lui demandant chaque fois de dire si c'est vraiment cela qu'il veut vivre.  Il doit alors promettre sa "stabilité" dans la communauté.  Quelqu'un peut bien participer à la vie de la communauté pour un certain temps.  Mais un cénobite est quelqu'un qui a choisi de vivre de façon stable selon cette règle de vie.  Benoît utilise l'expression "militer sous une règle", soulignant ainsi que, pour le moine, c'est sa façon concrète de "militer" sous l'autorité du Christ Roi.

Le troisième élément est "(militer sous une règle) et un abbé".  Le rôle de l'abbé par rapport à la Règle et  à la communauté sera décrit dans le prochain chapitre.  Qu'il suffise pour le moment de faire remarquer que l'ordre dans lequel Benoît présente les divers éléments qui constituent la vie cénobitique est important: a) la communauté, b) la règle et c) l'abbé.  Chaque fois que, dans l'histoire du monachisme, on a interverti cet ordre, ou donné une importance démesurée à l'un ou l'autre des trois éléments par rapport aux autres, on a abouti à des déformations de la tradition, engendrant soit une attitude légaliste (influence démesurée donnée à la Règle), soit de l'autocratisme (rôle exagéré de l'abbé), soit une forme de démocratisme (autorité prépondérante du groupe sur les individus). Ces trois dérives ne permettent pas de construire un monastère bénédictin.

 

3 La deuxième sorte est celle des anachorètes,

c'est-à-dire des ermites.

Ceux-ci n'en sont plus à la ferveur des débuts dans la vie

religieuse,

car une longue période de probation au monastère

4 leur a appris, avec l’aide et les leçons de plusieurs,

comment l’on tient tête au démon.

5 Suffisamment aguerris,

ils passent de la milice fraternelle

au combat solitaire du désert,

assurés que désormais, sans l'assistance d'autrui,

ils peuvent combattre, Dieu aidant,

par leur seule main et leur seul bras,

contre les vices de la chair et des pensées.

 

Commentaire Règle 1, 3-5

 

Ce matin, à propos des ermites, je voudrais relever deux phrases qui nous informent sur le réalisme de Benoît et sur un aspect de notre vie de cénobites :

« Les ermites ne sont plus des débutants dans la première ferveur de la vie monastique. Mais, au monastère, on les a éprouvés longuement » (v. 3b)

« Avec l’aide de beaucoup d’autres, ils ont appris à lutter contre l’esprit du mal » (V. 4)

La vie communautaire revêt une dimension de combat contre le mal. Ailleurs, Benoît parle du « Notre Père » que nous chantons à l’Office et qui guérit des épines de la vie communautaire.

En vivant ensemble, il y a forcément des blessures, plus souvent  des égratignures, c’est inévitable. Or, ces petits conflits ne nous détruisent pas, au contraire, ils nous provoquent au pardon et au dépassement et nous forment à l’attachement au Christ ; ils nous libèrent des rêves d’une vie fusionnelle où la communion serait naturelle et donnée d’emblée.

Pour être ermite, il faut avoir appris à vivre avec les autres et avoir mené le combat de la vie fraternelle car ce combat nous dit Benoît est un soutien : nous avons besoin du soutien des autres, même de leurs égratignures ou parfois de leurs coups car paradoxalement, ces frères nous forment à l’intériorité. Ils nous apprennent une chose essentielle dans la vie monastique : c’est Dieu qui nous aide. Lorsque l’homme a fait cette expérience sans avoir durci son cœur ou s’être coupé des autres, il devient capable de mener la vie érémitique.

Dans la vie cénobitique, les frères nous soutiennent certes par leur affection, par leur exemple, par leurs prières, mais ils nous aident aussi lorsqu’ils nous font souffrir. Souvent ce sont même les plus frères qui nous font le plus souffrir qui nous apportent le plus. Nous le comprenons souvent des années plus tard.

Nous ne sommes pas des ermites, nous sommes des cénobites et nous aurons à mener ce combat toute notre vie. Ne rêvons pas d’une communauté ou d’une vie monastique où ce combat n’existerait pas, il est normal et même salutaire pour nous, à condition que nous acceptions de pardonner jusqu’à 70 fois 7 fois, c’est-à-dire en arrêtant de compter, de ruminer, mais en nous attachant au Christ seul.

 

6 Il existe une troisième sorte de moines,

mais combien détestable !

C’est celle des sarabaïtes.

Aucune règle ne les a éprouvés,

comme l'or dans la fournaise,

ils n'ont pas bénéficié des leçons de l'expérience,

mais se sont amollis comme du plomb ;

7 leurs actes témoignent qu'ils gardent leur foi au monde

et mentent ouvertement à Dieu par leur tonsure.

8 A deux ou trois, ou même tout seuls, sans pasteur,

ils s'enferment, non dans les bergeries du Seigneur,

mais dans leur propre bercail.

9 Ils n'ont d'autre loi que la satisfaction de leurs désirs ;

car tout ce qu'ils pensent ou préfèrent,

ils le tiennent pour saint,

et tout ce qui ne leur plaît pas,

ils le regardent comme illicite.

 

 

Commentaire RB 1,6-9

 

Hier, nous avons entendu que les ermites sont des hommes avancés sur le chemin de la conversion, ils n’en sont plus à « la ferveur des novices », alors qu’aujourd’hui la conversion des sarabaïtes, n’est que « misère »dit le texte latin. Ils vont de lieu en lieu, ils ne durent pas, ils ne demeurent pas. C’est la capacité ou non à se convertir quidétermine la valeur de tel ou tel type de vie monastique, et cette valeur passe par le temps et la durée en un même lieu.

 

Hier, la description des ermites était instructive sur les cénobites ; aujourd’hui pareillement la description des sarabaïtes instruit sur le cénobite tel que le voit Benoît.

 

Ils sont présentés comme ceux qui n’ont pas été formés par lapratique d’une Règle. Benoît les voit inexpérimentés et « mous comme du plomb », « par leurs œuvres, fidèles au siècle », incapables de dépendre d’autrui et soumis à la loi de leur désir.

 

Il est intéressant de noter que l’absence de pratique d’une Règle rend impossible l’obéissance à un abbé. La stabilité dans un monastère ne suffitdonc pas à faire un cénobite ! Le moine, même s’il demeure « enfermé dans son enclos », peut être un sarabaïte s’il refuse de se soumettre à la Règle !

 

Dans la Règle de Benoît, il n’y a plus de Maître qui parle, décide, tranche, mais une Règle qui est « maîtresse », d’où le drame des Sarabaïtes, « qui n’ont subi l’épreuve d’aucune Règle, sans l’enseignement que donne l’expérience » (RB 1, 6).

 

10 La quatrième sorte de moines

est celle des gyrovagues.

Ils passent toute leur vie à courir de province en province,

restant trois ou quatre jours dans différents monastères,

11 sans cesse errants, jamais stables,

esclaves de leurs caprices et adonnés aux plaisirs de la bouche,

enfin, pires en tous points que les sarabaïtes.

12 Il vaut mieux se taire que de parler davantage

de la misérable condition de tous ces gens.

13 Laissons donc les uns et les autres,

et, avec l'aide du Seigneur, venons-en à

l’organisation de la très vaillante sorte de moines,

celle des cénobites

 

Commentaire RB 1,10-13

 

Rappelons que saint Benoît présente quatre sortes de moines : les cénobites, les ermites, les sarabaïtes et les gyrovagues. Si les moines sarabaïtes sont de faux cénobites, les gyrovagues sont de faux ermites.

Les gyrovagues, les faux ermites, Augustin les nomme « circoncellions » parce qu’ils vont d’une cellule à l’autre, d’un monastère à l’autre, toujours à courir, jamais stables, dira d’eux Benoît, ajoutant au tableau : « esclaves de leurs volontés propres et de la gueule », les jugeant « encore plus détestables que les sarabaïtes », à cause probablement de leur « instabilité ». On sait l’importance que Benoît, fidèle à la tradition du désert rapportée par Cassien et les Apophtegmes, attache à la stabilité (cf. RB 4, 99 ; 58, 19…39 ; 60, 22 ; 61, 13).

 

La RB exclut donc 2 des 4 genres de moines dont elle fait état, choisissant –  sans mésestimer les ermites – de légiférer pour  la « très forte race des cénobites ».

Entre les ermites et les cénobites, Benoît a une « préférence pratique » pour les cénobites, se séparant ici de Cassien qui opte délibérément pour les solitaires (Conf. XVIII, 4). La RB ne prévoit pas le cas d’un moine qui quitterait le monastère pour la solitude au « désert ». Pour Benoît, le passage du cénobitisme à l’anachorétisme n’est pas le chemin normal pour le moine : « c’est un problème en marge de la RB ».

Pour Benoît le moine, « vivant sous une règle et sous un Abbé » est normalement appelé à « persévérer jusqu’à la mort dans la doctrine du Christ  - retransmise et interprétée par l’Abbé – au sein du monastère, participant par la patience aux souffrances du Christ pour être admis à partager son Règne (Cf. fin du Prol. v. 50). 

Devenir moine bénédictin, c’est accepter de vivre avec les frères qui vivent ici jusqu’à la mort. Je connais mes frères, je connais leurs défauts et leurs qualités, je ne dois pas chercher la vie ailleurs. C’est, dans cette communauté, telle qu’elle est, que le Seigneur m’attend et veut me sauver. Il est donc essentiel pour moi d’aimer et de pardonner en rejetant toute tentation d’aller voir ailleurs car ce serait une fuite du réel, une fuite du Christ qui m’attend ici.

 


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