Chapitre 5 de la Règle de saint Benoît




Chapitre 5 de la Règle de saint Benoît

 

Ctaire RB 5, 1-5

 

1 Le premier degré de l'humilité est l'obéissance sans retard.

2 Celle-ci convient à ceux qui n'ont rien de plus cher que le Christ.

3 Mus par le service sacré dont ils ont fait profession,

la crainte de l'enfer

et la gloire de la vie éternelle,

4 dès que le supérieur a commandé quelque chose,

ils ne peuvent souffrir d’en différer l’exécution,

tout comme si Dieu lui-même en avait donné l’ordre.

5 C'est en parlant d'eux que le Seigneur dit :

Dès que son oreille a entendu, il m'a obéi.« L’obéissance convient à ceux qui estiment n’avoir rien de plus cher que le Christ. »

 

Ce dernier verset revient deux fois dans la Règle : ici et dans le chapitre sur l’obéissance mutuelle (RB 72).

Le sens de cette formule, il semble que Benoît l’ait emprunté à saint Cyprien qui est, après saint Augustin, son théologien préféré  :

« Ne rien préférer au Christ (Christo omnino nihil praeponere), car il nous a préféré à lui. À son amour s'attacher inébranlablement ; à sa croix se lier indissolublement » CYPRIEN (L'ORAISON DOMINICALE, § 15).

Ce principe est cité aussi dans la RM, mais d’une manière tout à fait différente. De fait, si pour le Maître, « n'avoir rien de plus cher que le Christ » est aussi le ressort de l'obéissance, celui-ci « ne convient qu'au petit nombre des parfaits »[1] et la majorité des moines doit se contenter d'imiter les parfaits.

Benoît ne reprend pas cette distinction entre deux sortes de moines (les bons et les moins bons) ; pour lui, l'obéissance s'adresse à tous les moines, car, tous, quelle que soit leur vie, s’ils veulent tenir, ils doivent « estimer n'avoir rien de plus cher que le Christ ». 

Pour Benoît, la possibilité d’aimer le Christ n’est pas empêché par un vague sentiment de liberté intérieure qui serait le mien aujourd’hui : je peux me sentir comme un bout de bois dans ma lectio ou dans mon oraison, je peux avoir le sentiment que j’avance dans la vie monastique comme un bœuf ; je peux me percevoir comme un étranger dans la communauté ; ou bien, au contraire, être dans une période de grâce et d’union à Dieu, peu importe ! Quelle que soit ma situation du moment, l’obéissance est possible pour moi, elle me libère de mes assujettissements et peut-être aussi de ma tristesse.

Pour Benoît comme pour Augustin, ce n’est pas la vertu qui est le point de départ de l’obéissance, mais l’amour. Un auteur anonyme du Moyen Age écrivait que si nous attendons d’être parfait pour commencer à aimer, nous n’aimerons jamais. L’amour est à la portée de tout le monde, c’est pour cela que Jésus nous annonce que les prostituées et les publicains entreront avant nous dans le paradis.

Pour Benoît, l'homme peut donc être encore pécheur, dans « la paresse de la désobéissance » et « n'avoir rien de plus cher que le Christ ».  L'opposition n'est paradoxale qu'en apparence, en fait elle est dynamique.

Si j’accepte de croire que, malgré mon péché et malgré  mes blessures, le Seigneur me fait la grâce de l’aimer et d’être attaché à lui, alors je deviens vraiment humble et capable d’espérer et d’aimer !

Lorsque nous laissons notre misère nous envahir, lorsque nous portons sur nous-mêmes un jugement implacable et terrible, nous ne pouvons plus aimer, nous ne pouvons plus obéir, nous nous durcissons dans la peur : peur de Dieu, peur de l’abbé, peur du frère, peur du pauvre !

Chacun de nous est un pauvre moine, mais chacun de nous aime le Christ, c’est un don qui nous est fait ; il ne faut pas trop vite l’évaluer en fonction de nos mérites. Cela n’a pas grand chose à voir !

C’est important et n’oublions pas que saint Benoît au chapitre 4, après nous avoir indiqué 73 instruments auxquels il nous faut obéir pour devenir moine, il conclut par cette maxime : « Ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu ».

Pour aimer, il suffit d’avoir besoin de l’autre, il suffit d’être petit et pauvre. La condition pour l’obéissance, c’est d’être un homme qui a besoin d’être aidé, qui a besoin des autres et qui espère quelque chose de Dieu, de l’abbé, de ses frères et du pauvre qui frappe à sa porte.

 

 

 

Commentaire RB 5, 6-12

 

6 Et il dit aussi à ceux qui enseignent :

Qui vous écoute m'écoute.

7 De tels moines,

délaissant aussitôt leurs intérêts personnels

et leur propre volonté,

8 lâchent immédiatement ce qu'ils tenaient

et laissent inachevé ce qu'ils faisaient,

pour suivre, avec une obéissance qui emboîte le pas,

la voix de celui qui ordonne.

9 Et, comme en un même instant,

l'ordre proféré par le maître

et sa réalisation par le disciple

s'accomplissent toutes deux à la fois,

dans l'empressement qu'inspire la crainte de Dieu :

10 c’est ainsi qu’agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie

éternelle.

11 C'est pour cela qu’ils s'engagent sur la voie étroite

dont le Seigneur dit : Étroite est la voie qui conduit à la vie.

12 Aussi, ne vivant plus à leur guise,

n'obéissant plus à leurs désirs et à leurs inclinations,

mais marchant au jugement et au commandement d'autrui,

ils désirent vivre en communauté

et se soumettre à un abbé.

 

J’obéis parce que j’aime le Christ. Qu’est ce que cela veut dire concrètement ?

Benoît semble bien être le premier moine à parler de l’obéissance comme il le fait ; il reprend le discours monastique traditionnel, mais il lui donne une dimension de foi, une dimension théologale : Jusqu’à lui, la littérature monastique présente le moine qui obéit à la manière d’un apprenti qui obéit à son patron, ou encore d’un disciple qui obéit à son maître. À cette forme d’obéissance ascétique (traditionnelle) fondée sur l’obéissance à l’image du Christ qui a obéi à son Père, Benoît rajoute une autre raison d’obéir, celle d’obéir directement au Christ (qui a dit « qui vous écoute m’écoute »).

Dans la Règle, je suis invité à obéir non seulement à l’image du Christ, mais aussi à obéir directement au Christ par la reconnaissance des médiations. Le Christ dans la Règle est présenté à la fois comme celui qui obéit au Père (et que je dois imiter) et celui qui commande par l’entremise de l’Abbé, des frères, du pauvre (et que je dois chercher de toutes les forces).

 

Ce matin, je veux parler seulement du premier motif d’obéir, le motif plus classique  : obéir à l’image du Christ qui a obéi à son Père.

J’obéis pour imiter le Christ, lui qui a dit « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Or, le Christ est Dieu ! Lorsque je regarde le Christ obéir à son Père, qu’est-ce que je vois ? Je vois Dieu obéir. C’est là une chose qu’Arius n’a jamais pu accepter : pour lui, parce que le Christ n’est pas à la source de lui-même, parce qu’il dépend du Père, il lui est forcément inférieur ! À l’inverse, pour la foi de Nicée, pour la foi de l’Église, lorsque le Fils obéit au Père, il est l’égal du Père. Le Christ n’est qu’obéissance et, dans cette obéissance même, il m’est donné de contempler la gloire de Dieu. La contemplation du Mystère de la Trinité, la contemplation de la communion des Personnes divines est la clef de lecture de l’obéissance chrétienne et monastique.

Le modèle de l’obéissance du chrétien ou du moine, ce n’est pas celle du militaire ou encore celle de l’esclave ou encore celle plus ou moins réussie de mon enfance, mais celle du Christ au Père. En regardant le Christ obéir, j’apprends de lui la confiance qui me fait frère de mes frères et me libère de la peur de l’autre.

Vouloir une communauté fraternelle, un monde fraternel, un monde de fils de Dieu, frères et fils du même Père, c’est forcément pour moi commencer par faire confiance à tous mes frères, par les écouter et par leur obéir. La seule manière de libérer mon frère de son agacement ou de sa colère contre moi, c’est de lui obéir.

Lorsque j’obéis, j’accepte que je ne suis pas au centre du monde avec mes barricades, j’accepte que je ne suis pas au centre de ma communauté, mais qu’au centre il y a la communion.

 

 

Commentaire RB 5, 13-19

 

13 Assurément de tels hommes se conforment à cette sentence du

Seigneur,

qui dit : Je ne suis pas venu faire ma volonté,

mais la volonté de celui qui m'a envoyé.

14 Cette obéissance ne sera agréable à Dieu

et douce aux hommes,

que si l'ordre est exécuté sans hésitation,

sans délai, sans tiédeur,

sans murmure et sans parole de résistance,

15 car l'obéissance rendue aux supérieurs

se rapporte à Dieu :

lui-même, en effet, a dit:

Qui vous écoute m'écoute.

16 Il faut que les disciples prêtent l'obéissance de bon coeur,

car Dieu aime celui qui donne avec joie.

17 Au contraire, si le disciple se soumet de mauvaise grâce,

s'il murmure

non seulement de bouche,

mais encore dans son coeur,

18 quand bien même il accomplirait l'ordre qu'il a reçu,

son oeuvre ne sera point agréée de Dieu,

qui voit le murmure intérieur ;

19 bien loin d’en être récompensé,

le moine encourra plutôt le châtiment des murmurateurs,

à moins qu'il ne se corrige et n'en fasse réparation.

 

 

J’obéis parce que j’aime le Christ.

Après avoir vu que le moine obéit pour imiter le Christ obéissant, je voudrais ce matin méditer avec vous le fait que le moine obéit parce qu’il cherche le visage du Christ et qu’il désire accomplir sa volonté. Aujourd’hui, le Christ est présent dans le monde par l’entremise de son Corps, celui de l’Église, celui de ma communauté de Bouaké, celui des frères qui la composent et particulièrement celui de notre P. Abbé qui tient la place du Christ (Celui qui l’écoute, écoute le Christ) et celui du Prieur que l’Abbé a désigné pour le représenter.

Si saint Benoît est le premier législateur monastique à avoir déclaré que l’abbé tient la place du Christ et à lui avoir appliqué la sentence lucanienne « qui vous écoute m’écoute », il est aussi celui qui a inventé le chapitre conventuel pour que tous les frères puissent donner leur avis : l’abbé a besoin de nous pour connaître la volonté de Dieu ; il est aussi le premier à avoir demandé que les frères expriment à l’abbé leur désaccord sur une décision qui leur paraîtrait injuste, inhumaine ou trop dure pour eux – l’abbé peut donc se tromper ! –. L’abbé a besoin de la parole de ses moines, de tous ses moines (et pas seulement de quelques frères du Conseil) pour connaître la volonté de Dieu. L’abbé ne sait pas tout et la Règle lui demande de discerner ce qui convient, seulement après avoir écouté ses frères, tous ses frères.

Ce n'est donc pas l'abnégation et l'écrasement que prône Benoît lorsqu’il parle de l’obéissance, mais la confiance. Benoît n'idéalise pas plus la personne de l'abbé que l'accomplissement de sa charge, mais il  convie le moine à croire en l'au-delà des choses, à percevoir le mystère de Dieu sous les traits de la pauvreté de l'humanité (celle de son abbé qui a des défauts, comme celle de ses frères). Seule la foi permet la véritable obéissance, celle du Christ ; car seule la foi permet l'amour. Seul le regard de foi permet de mener en vérité la vie commune.

Benoît au chapitre V rattache l'obéissance au supérieur à l'obéissance à Dieu. Au chapitre LXXI, il invite à s’obéir les uns et les autres et il renvoie à l'obéissance tout court. Il n’existe pas cinquante obéissances, il n’y en a qu’une et le moine qui croit accomplir effectivement la volonté de Dieu en obéissant à son abbé, qui porte sur lui un regard lucide, mais un regard de foi, un regard d’attente spirituelle, est capable d’aimer tous ses frères et de leur obéir ; il se laisse  rejoindre par Dieu à travers les relations fraternelles. L'obéissance est mutuelle car Dieu parle à travers chaque frère.

Telle est l'obéissance voulue par Benoît. Elle est due à Dieu, elle passe par des pauvres hommes, l’abbé et tous les frères, qui ne doivent jamais oublier leur misère pour ne pas écraser le roseau froissé.

 

 

 


[1] RM 7.2.


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