Chapitre 4 de la Règle de saint Benoît

Chapitre quatrième.
Quels sont les instruments des bonnes œuvres.
1 Avant tout, aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur,
de toute son âme, de toutes ses forces.
2 Ensuite, aimer le prochain comme soi-même.
Commentaire RB 4, 1-2
Dans les règles monastiques, on trouve souvent des listes de préceptes comme c’est le cas dans la Règle de saint Benoît. Souvent avant de commencer la liste des préceptes, les auteurs placent le Credo, suivi du double commandement de l’amour ; suit le décalogue et une longue liste de préceptes. Benoît, dans sa Règle, supprime la confession trinitaire, mais conserve le double commandement de l’amour (RB 4, 1‑2).
Cette association d’une profession de foi trinitaire et d’une énumération des commandements qui décrivent la conduite du chrétien ou du moine est magnifique : après avoir affirmé qu’il faut croire au Père, au Fils et à l’Esprit Saint, le précepte du Décalogue “l’aimer de tout son cœur, de toute son âme” est présenté comme une conséquence de la foi en Dieu Père, Fils et Saint Esprit. C’est théologiquement simple et fort de resituer l’amour de Dieu dans la foi au mystère trinitaire. Dans la Règle de saint Benoît, comme dans le Décalogue, les deux premiers commandements “aimer Dieu et aimer son prochain” se trouvent comme un prélude ou un porche, avant que ne commence la liste de valeurs universelles qui s’ouvre sur “Tu ne tueras pas”. »
Cette liste d’« instruments » du chap. 4 avait certainement à l’origine une existence indépendante au monde monastique. Elle appartenait à un diocèse. On ne peut qu’être étonné par la ressemblance entre ce chapitre et les têtes de chapitre du troisième Livre des Témoignages de saint Cyprien, évêque de Carthage en Afrique du Nord.
Le fait que Benoît reprenne les titres de chapitre d’un livre de Cyprien, donne à croire que des listes d’instruments circulaient dans les Églises et dans les monastères, et, que des laïcs comme des moines s’en emparaient et les utilisaient ; elles constituaient des directives générales rassemblées en un ensemble cohérent de la vie chrétienne.
Les auteurs monastiques, pour montrer que la Loi est une réponse de foi au double commandement de l’amour, n’hésitent pas à adapter ces listes en fonction de leurs situations et de leurs cultures. Elles sont constituées par un ensemble de maximes puisées dans les Écritures, où les aspects les plus spécifiquement monastiques qui y ont été introduits sont rares et secondaires. Pour aimer Dieu et son prochain, le moine, cerné par toutes les situations de l’existence chrétienne, a besoin de recevoir ces listes qui existent dans les Églises et qui balisent le chemin du chrétien dans le monde. Ce chapitre nous montre qu’un moine est avant tout un homme, un chrétien, dont la foi est soumise aux mêmes tentations.
3 Puis, ne pas tuer.
4 Ne pas commettre d'adultère.
5 Ne pas commettre de vol.
6 Ne pas convoiter.
7 Ne pas porter de faux témoignage.
8 Honorer tous les hommes.
9 Et ne pas faire à autrui
ce qu'on ne veut pas qu'on nous fasse.
Commentaire RB 4, 3-9
« Ne pas faire à autrui ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse ». Cette formule empruntée au livre de Tobie rappelle en négatif la formule que l’on trouve en Matthieu et Luc. « Tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites le vous-mêmes pour eux ». Mt 7,13. Formule que Matthieu présente comme un résumé de la Loi et des Prophètes. Nous ne sommes pas loin de ce que disait un rabbin juif contemporain de Jésus, Rabbi Hillel : « ce qui est détestable à tes yeux, ne le fais pas à autrui ». Hillel présentait ce précepte comme un condensé de la Torah, le reste n’en étant qu’un commentaire. Adiu Steinsaltz poursuit en disant que cette formule d’Hillel est une adaptation du commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». L’amour du prochain est ainsi proposé comme le résumé de la Loi. Paul en Gal 3.14 s’inscrit dans la même ligne quand il affirme : «Par la charité, mettez vous au service les uns des autres. Car un seul précepte contient toute la Loi en sa plénitude : tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Avec cet instrument de la RB nous avons donc comme un résumé des Ecritures. Sa place à la fin de la série des instruments apparentés au décalogue laisse penser qu’on le considère un peu ainsi. «Ne pas faire à autrui ce qu’on en veut pas qu’on nous fasse ». Ce précepte qui résume la Loi est un précepte qui semble appartenir à la sagesse universelle. Il semble que nous pourrons le rencontrer dans la bouche de sages d’autres traditions religieuses. Son enracinement profondément humain nous redit combien toutes les Ecritures prennent à bras le corps notre réalité humaine. L’être humain est fragile et c’est à partir de sa propre fragilité reconnue et assumée qu’il peut vraiment aller à la rencontre des autres. Toutes les Ecritures sont un enseignement pour nous aider à assumer notre propre fragilité dans la lumière de Dieu qui nous crée et nous sauve pour nous permettre de nous tourner vers les autres. Comment entendre concrètement ce précepte pour nous aujourd’hui ? Je vous donne quelques exemples concrets : ne prends pas un livre sans faire la fiche à la bibliothèque, ce que tu n’aimerais pas trouver... en rentrant de course, ne range pas sans rien dire une mobylette ou une voiture qui a eu un problème, ce que tu n’aimerais pas trouver… Ne laisse pas les toilettes sales à ton suivant, ce que tu n’aimerais pas trouver… ne critique pas ton frère dans son dos, ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse, etc... La vie quotidienne commune est notre école pour apprendre à aimer.
10 Renoncer à soi-même pour suivre le Christ.
11 Châtier son corps.
12 Ne pas s’attacher aux plaisirs.
13 Aimer le jeûne.
14 Soulager les pauvres.
15 Vêtir celui qui est nu.
16 Visiter les malades.
17 Ensevelir les morts.
18 Secourir qui est dans l’épreuve.
19 Consoler les affligés.
20 Rompre avec les manières du monde.
21 Ne rien préférer à l'amour du Christ.
Commentaire RB 4, 10-21
Dans ces quelques versets, le désir de suivre le Christ et la volonté de l’aimer sont le début et la fin de ce passage.
Nous renonçons à nous-mêmes car nous voulons suivre le Christ. Renoncer à nous-mêmes suppose la maîtrise du corps, de nos désirs, de nos passions et de nos pulsions afin de demeurer libre pour l’aimer.
Nous devons écouter notre corps et le respecter lorsqu’il a faim, soif, lorsqu’il est malade, lorsqu’il a sommeil, mais nous ne devons pas lui laisser nous dicter notre conduite ; la tradition monastique nous enseigne à ce propos quelques éléments puisés dans la tradition monastique :
L’amour de l’ascèse et de la discipline monastique, la liberté intérieure (être capable d’apprécier un bon repas mais aussi se satisfaire d’un repas très simple), et enfin et surtout la charité.
Elle nous apprend à ne pas nous replier sur nous-mêmes, elle nous ouvre aux autres.
Le meilleur moyen de sortir de l’engrenage des pensées impures, ou de la tristesse, ou des difficultés personnelles et communautaires, c’est la charité vraie, l’amour gratuit, le service communautaire. Nous le faisons à cause du Christ parce que nous l’aimons plus que tout et surtout plus que nous-mêmes. À cause de lui, et de son amour, nous ne pouvons pas accepter l’enfermement dans le péché et dans le murmure.
Le chemin que saint Benoît nous propose est fait de choses simples et naturelles, il est fait de la vie de tous les jours. Pour aimer Dieu et pour aimer son prochain, nous avons un seul modèle, le Christ, pendant trente-trois ans, pour aimer Dieu et les hommes, il a fait des choses simples.
22 Ne pas se livrer à la colère.
23 Ne pas se réserver un temps pour la vengeance.
24 Ne pas entretenir la fourberie dans son coeur.
25 Ne pas donner une paix mensongère.
26 Ne pas se départir de la charité.
Commentaire RB 4, 21-26
« Ne pas cesser d’aimer ».
Parmi les instruments pour devenir moine, Benoît a retenu cette formule. Benoît que l’on a tenté à deux reprises d’assassiner sait que l’amour ne doit jamais s’arrêter de circuler dans le cœur du moine. Cesser d’aimer c’est renier le Christ.
L’amour, dans la vie communautaire s’accompagne toujours du pardon. Il n’y a pas de vie commune possible sans le pardon.
Le pardon n’est pas l’oubli, personne ne peut m’obliger à oublier, Dieu lui-même ne nous demande pas d’oublier, mais de continuer à construire l’avenir avec ce frère qui m’a blessé. C’est cela ne jamais cesser d’aimer.
C’est l’engagement que nous avons pris le jour de notre profession. Il ne faudra jamais s’étonner de trouver le péché dans le cœur de mon frère puisque je sais qu’il est aussi dans mon cœur.
Je ne pourrai jamais dire que j’ai assez aimé ou que j’ai trop aimé ou que je suis fatigué d’aimer. Chaque jour, il faut recommencer à zéro et chaque jour, il faut penser au bonheur de l’autre avant de penser à soi ; chaque jour, il faut vouloir le bien de ce frère qui m’a fait du mal.
En agissant ainsi, je deviens heureux et je porte du fruit, je détruis le cycle de la haine et j’annonce le Royaume, je deviens davantage le frère de Jésus-Christ qui a voulu faire de toute sa vie une leçon d’amour et de pardon jusqu’au bout, jusqu’à la croix où il demande au Père de nous pardonner parce que nous ne savons pas ce que nous faisons.
27 Ne pas jurer, de peur de se parjurer.
28 Proférer de bouche la vérité telle qu'on l'a dans le cœur.
29 Ne pas rendre le mal pour le mal.
30 Ne faire injustice à personne,
mais supporter patiemment celle qu'on nous fait.
31 Aimer ses ennemis.
32 Ne pas maudire ceux qui nous maudissent,
mais plutôt les bénir.
33 Savoir endurer la persécution pour la justice.
Commentaire RB 4, 27-33
Après la maxime, « Ne pas cesser d’aimer », Benoît nous indique quel sera le prix à payer de cet amour, quel sera le poids de la construction d’une communauté chrétienne :
Tout d’abord ne pas jurer, c’est-à-dire ici ne pas prononcer de parole fausse sur une situation qui concerne la communauté ou un frère. Parce que nous sommes moines, les paroles que nous prononçons ont un poids particulier lorsque les gens les entendent, ils nous croient, ils nous font confiance. Lorsque nous mentons sur un frère, lorsque nous exagérons sur une situation communautaire, nous utilisons notre habit monastique pour faire du mal. Benoît nous invite à dire la vérité telle qu’on l’a dans le cœur. Cela suppose que notre cœur soit apaisé ; il faut éviter de parler sur un frère lorsque nous sommes en colère contre lui car, à ce moment-là, nous ne disons pas la vérité au sens où Benoît l’entend, au sens aussi où la Bible l’entend : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » nous dit la psalmiste. Une vérité froide sans amour est un mensonge ; une justice justicière sans paix du cœur n’est que vengeance.
Benoît continue en nous invitant à refuser la vengeance, à ne jamais rendre le mal pour le mal, mais à chercher ce qui est le meilleur pour le frère qui m’a fait du mal.
Autre forme de vengeance, faire subir aux autres ce que l’on m’a fait subir. C’est classique dans la vie : on retrouve cela dans l’armée et dans toutes les formes de corporation, cela peut-être une tentation aussi dans la vie monastique. Si nous estimons que certaines choses n’ont pas été justes ni bonnes pour moi, je dois tout faire pour que mes jeunes frères ne subissent pas la même injustice.
La maxime suivante, reprise de l’Évangile, résume cet enseignement : « Aimer tes ennemis » et répondre à la malédiction par une bénédiction car bénir est plus puissant que maudire et lorsque je bénis mon frère (c’est-à-dire lorsque je lui fais du bien), je réduis à néant le mal qu’il a voulu me faire.
34 Ne pas être orgueilleux.
35 Ni adonné au vin.
36 Ni grand mangeur.
37 Ni grand dormeur.
38 Ni paresseux.
39 Ni murmurateur.
40 Ni enclin au dénigrement.
41 Mettre en Dieu son espérance.
42 Ce que l'on verra de bon en soi,
l'attribuer à Dieu, non à soi-même.
43 Quant au mal, reconnaître qu'on en est toujours l'auteur.
Commentaire RB 4, 34-43
- Cet ensemble de citations porte sur l’orgueil qui est considéré par Benoît et par toute la Tradition spirituelle monastique comme le principal obstacle dans la croissance spirituelle.
- Une citation biblique ouvre ce passage : « ne pas être orgueilleux » (Tt 1, 7), ensuite Benoît invite à ne pas aimer le vin (citation d’1 Tim 3, 3), à ne pas aimer beaucoup manger, à ne pas trop aimer le sommeil et la paresse.
- L’homme qui s’enferme dans l’habitude du péché et qui est moine aura beaucoup de difficultés à accepter d’être repris par son supérieur et par ses frères ; il va se durcir et se replier sur lui-même. L’orgueil apparaît dans cette attitude de l’homme qui affirme fièrement sa liberté et à qui l’on ne peut plus rien dire.
- Que propose Benoît à ce moine ? De croire qu’un avenir lui est possible, que la grâce peut surgir dans sa vie et que même s’il n’a pas de volonté, le Seigneur peut faire surgir en lui quelque chose de nouveau, quelque chose de bien.
- Si l’espérance revient dans sa vie, il redeviendra humble, il sera possible de l’aborder plus facilement, car désormais il saura « que le mal c’est lui qui le fait et qu’il vient de lui ».
- Reconnaître son péché, c’est retrouver sa liberté et devenir humble.
44 Craindre le jour du jugement.
45 Avoir frayeur de l'enfer.
46 Désirer la vie éternelle de toute sa convoitise spirituelle.
47 Avoir tous les jours la mort présente devant les yeux.
48 Veiller à toute heure sur les actions de sa vie.
49 En tout lieu, tenir pour certain que Dieu nous regarde.
50 Briser aussitôt contre le Christ
les pensées mauvaises qui viennent dans le coeur,
et s'en ouvrir à un père spirituel.
Commentaire RB 4, 44-50
- Cet ensemble de citations porte sur la relation du moine à sa propre mort.
- Benoît invite à craindre le jour du jugement et à avoir peur de l’enfer. Nous croyons en un Dieu plein de miséricorde et d’amour, mais nous savons que nous ne méritons pas d’être sauvé. Ce que nous méritons c’est d’aller en enfer. C’est uniquement parce qu’il est plein d’amour qu’il peut nous sauver, ce n’est pas de notre fait.
- Après avoir dit cela, Benoît nous invite à « désirer la vie éternelle de toute sa convoitise spirituelle » : plus important que la peur de l’enfer est le désir de vivre éternellement avec Dieu.
- Ce désir de vivre avec Dieu commence dès aujourd’hui et Benoît nous donne trois conseils pour commencer à vivre ici comme nous vivrons au ciel :
- 1) Veiller sur nos actions ; ne pas nous laisser emporter par nos désirs humains, par des paroles violentes, par des sentiments indignes (violence, jalousie, vengeance, orgueil…). Le combat du moine n’est pas seulement de veiller dans la prière, c’est aussi de veiller à toutes ses actions pour ne pas perdre la présence de Dieu.
- 2) C’est là le second conseil que donne Benoît : « En tout lieu, tenir pour certain que Dieu nous regarde ». Ce n’est pas un Dieu qui nous surveille, mais un Dieu qui nous aime. Comment pourrions-nous faire le mal devant quelqu’un qui nous aime ? Garder la présence de Dieu dit Cassien c’est mettre le ciel sur la terre. Chaque fois que je me tiens en présence de Dieu, je suis déjà au ciel.
- 3) Briser contre le Christ les mauvaises pensées et m’en ouvrir à mon père spirituel. C’est là le troisième conseil que donne Benoît et qui me conduira au ciel. Je ne dois pas avoir honte de mes mauvaises pensées, je dois les rejeter car elles ne correspondant pas à ce que j’ai envie d’être et de vivre. J’ai envie de vivre avec le Christ et les mauvaises pensées, je vais les détruire en me tournant vers le Christ dès qu’elles surgissent. Le Christ n’a pas peur de mes mauvaises pensées et lorsque l’homme se tourne vers lui pour trouver refuge dans son cœur plein d’amour, il me rend heureux et paisible. Essayons de vivre cette expérience.
51 Garder ses lèvres de toute parole malveillante ou pernicieuse.
52 Ne pas aimer à beaucoup parler.
53 Ne pas dire de paroles futiles ou qui portent à rire.
54 Ne pas aimer le rire fréquent ou bruyant.
55 Écouter volontiers les saintes lectures.
56 Se plonger fréquemment dans la prière.
57 Confesser chaque jour à Dieu dans la prière,
avec larmes et gémissements,
ses fautes passées,
58 en mettant d'ailleurs tous ses soins
à s'en corriger.
Commentaire RB 4, 51-58
- Cet ensemble de citations porte sur la langue et sur la parole
- Après avoir parlé des mauvaises pensées, Benoît parle de la parole. Ce n’est pas la même chose. C’est vrai que l’on peut pécher par pensée, mais c’est uniquement lorsque l’on nourrit les mauvaises pensées, que l’on s’enferme dedans. Lorsque l’on se tourne vers le Christ, il n’y a aucun péché.
- En revanche, lorsqu’une mauvaise pensée sort de ma bouche par une mauvaise parole, alors il y a péché. Pour cette raison, Benoît demande à ce que le moine ne soit pas un grand parleur. Il est difficile de ne pas pécher pour celui qui parle beaucoup. « Ne pas aimer beaucoup parler ».
- Il invite ensuite à rejeter les paroles vides (c’est-à-dire les paroles qui n’apportent rien et qui ne disent rien, les paroles mondaines) ou encore celles qui font seulement rire. Il rejette aussi le rire exagéré. Est-ce à dire que Benoît rejette la joie de vivre et l’humour ? Non, au contraire, on voit ans la Règle qu’il y a une vraie vie fraternelle et s’il y a la fraternité, il y a forcément la joie et le rire.
- Ce que Benoît stigmatise ici, c’est le rire qui met mal à l’aise, le rire grossier et moqueur, le rire qui éloigne de Dieu car il est lié à la méchanceté et à la bêtise. Le mauvais rire est souvent lié aux mauvaises paroles qui sortent de la bouche de l’homme qui donne libre cours à ses mauvaises pensées.
- Les derniers versets ne portent pas sur la parole, mais sur l’écoute et sur la prière. De fait, si le moine se tait et garde le silence, c’est avant tout pour écouter Dieu qui parle dans sa Parole et il lui répond par la prière, et cela souvent dans la journée.
- Cet homme qui garde le silence et qui écoute Dieu parler à son cœur n’est pas meilleur que les autres, mais il sait qu’il est pécheur alors que l’homme qui parle beaucoup ne le sait pas ou du moins il l’oublie souvent. L’homme silencieux est humble, il connaît sa fragilité et il est davantage capable de se convertir.
59 Ne pas accomplir les désirs de la chair.
60 Haïr sa volonté propre.
61 Obéir en tout aux ordres de l'abbé,
lors même, ce qu'à Dieu ne plaise,
qu'il agirait autrement,
se souvenant de ce commandement du Seigneur :
Ce qu'ils disent, faites-le ;
mais ce qu'ils font, gardez-vous de le faire.
62 Ne pas chercher à passer pour un saint avant de l'être,
mais le devenir d'abord,
en sorte qu'on le dise avec plus de vérité.
63 Accomplir chaque jour, par ses actes,
les préceptes de Dieu.
64 Aimer la chasteté.
65 Ne haïr personne.
66 Ne pas être jaloux.
67 Ne pas céder à l'envie.
68 Ne pas aimer à contester.
69 Fuir l'élèvement.
70 Vénérer les anciens.
71 Avoir de l'affection pour les plus jeunes.
72 Par amour du Christ, prier pour ses ennemis.
73 Se remettre en paix avec qui nous sommes en discorde,
avant le coucher du soleil.
74 Et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu.
Commentaire RB 4, 59-74
Ce passage s’ouvre sur le double combat à mener contre les mauvais désirs du corps et la volonté égoïste (la volonté propre) qu’il faut apprendre à détester. Pour ce double combat à mener, Benoît offre plusieurs moyens :
- Obéir aux ordres de l’abbé, même si celui-ci parce qu’il est pécheur ne se comporte pas toujours bien nous précise Benoît.
- Être vrai, ne pas jouer au saint. Seul l’homme vrai est humble et seul l’homme humble peut mener le combat spirituel.
- Faire passer les commandements de Dieu dans ma vie.
- Aimer la pureté du cœur comme la pureté du corps (c’est-à-dire la chasteté). Si l’on ne s’aime pas « pur » on ne le deviendra jamais !
- La victoire dans le combat spirituel passe aussi par la qualité des relations fraternelles et Benoît précise : ne détester personne, ne pas être jaloux, ne pas aimer les palabres, ne pas vouloir écraser ou dominer les autres, respecter les anciens et aimer les jeunes.
- Dernier point capital pour Benoît, la gestion des conflits en communauté. Je ne peux pas progresser dans la pureté du cœur et mener le combat spirituel si je suis enfermé dans des relations difficiles avec tel ou tel frère : Benoît nous demande de prier pour ce frère et de le faire non pas forcément parce que je l’aime (peut-être que je n’arrive pas à l’aimer), mais parce que j’aime le Christ. Pour les petites choses qui se passent entre nous dans la journée, Benoît demande à ce que nous ne laissions pas passer le temps et que rapidement l’on se réconcilie. Lorsque le temps passe, le malaise s’installe et l’imagination du frère peut faire qu’une toute petite affaire devient une montagne qu’il est difficile ensuite de régler.
- Enfin, bien conscient que nous sommes des êtres faibles et fragiles, Benoît invite à ne jamais se décourager et, chaque matin, à recommencer notre chemin de conversion. Toute la liste des instruments des bonnes œuvres s’achève par cette maxime extraordinaire :
« Ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu » (RB 4,74).
75 Voilà quels sont les instruments de l'art spirituel.
76 Après les avoir mis en œuvre jour et nuit,
et sans relâche,
nous les restituerons au jour du jugement,
et, en échange, le Seigneur nous remettra alors
cette récompense que lui-même a promise :
77 Ce que l'oeil n'a pas vu,
ce que l'oreille n'a pas entendu,
voilà ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment.
78 Quant à l'atelier où nous mettrons diligemment en oeuvre
tous ces instruments,
c'est le cloître du monastère,
avec la stabilité dans la communauté.
Commentaire RB 4, 75-78
Je ne voudrais pas terminer le chapitre 4 de la Règle de saint Benoît, sans faire quelques réflexion sur une dimension de la vie spirituelle qu'on y trouve et qui est chère à saint Benoît : la dimension du désir.
Ce Dieu qu'on doit aimer de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces, c’est le début de ce chapitre, on ne le possède pas encore. On ne peut que le désirer, d'un désir qui est une tension de tout l'être vers l'objet aimé. C'est pourquoi le verset qui constitue en quelque sorte le sommet de ce chapitre est le verset 46 : vitam aeternam omni concupiscentia spiritali desiderare – "Désirer la vie éternelle d'une ardeur toute spirituelle".
Il y a une grande différence entre "besoin" et "désir". Prenons l'exemple de la faim. Lorsque je prends de la nourriture et la consomme, je la fais mienne; elle devient partie de moi-même. Je la détruis et elle détruit ma faim. Après quoi, la tension – le besoin – n'existe plus. Dieu nous a créés avec beaucoup de besoins (c'est une des beautés de notre être créé), et aussi avec la capacité – et la responsabilité – de répondre à nos besoins. Nous avons en commun avec le reste de la création la plupart de ces besoins.
Mais en tant qu'être humains, créés à l'image de Dieu, et appelés à participer à sa nature divine, nous avons quelque chose de plus. Même si un jour nous arrivions à satisfaire absolument tous nos besoins, nous aurions encore cette tension vers quelque chose de plus, vers un surplus d'être que nous ne pouvons que recevoir comme pur don.
Si nous sommes attentifs à cette distinction entre "besoin" et "désir", nous pouvons dire que nous n'avons pas besoin de Dieu, car Dieu ne peut jamais être l'objet (même pas l'Objet avec un grand "O") de nos besoins. Nous ne pouvons pas saisir Dieu, nous ne pouvons pas le faire nôtre et le transformer en nous-mêmes. Il peut cependant – et Il doit – être l'Objet de notre désir. Nous ne pouvons même pas naître à la vraie vie sans ce désir.
La longue série de prescriptions du chapitre 4 de la Règle de saint Benoît "... ne pas voler, ne pas convoiter... aimer le jeûne... visiter les malades.. dire la vérité... ne pas être gros mangeur ... s'adonner fréquemment à la prière... etc." montre bien que pour Benoît cet intense désir de Dieu n'est pas une expérience mystique occasionnelle et furtive. Il s'insère dans toute l'épaisseur de notre vie humaine de tous les jours.
LIRE AUSSI...
Chapitre 6 de la Règle de saint Benoît
Publié le Sam 28 Mai 2016
Commentaire RB 6 : "Le silence" 1 Faisons ce que dit le Prophète : J'ai dit : « Je surveillerai mes voies, pour ne pas pécher par ma langue. J'ai placé une garde à ma bouche ; je me rends muet, je m'humilie... Lire la suite >
Chapitre 5 de la Règle de saint Benoît

Publié le Jeu 26 Mai 2016
Ctaire RB 5, 1-5 1 Le premier degré de l'humilité est l'obéissance sans retard. 2 Celle-ci convient à ceux qui n'ont rien de plus cher que le Christ. 3 Mus par le service sacré dont ils ont fait profession, la crainte... Lire la suite >
Chapitre 3 de la Règle de saint Benoît

Publié le Mer 27 Avr 2016
Chapitre troisième. Comment recourir au conseil des frères. 1 Toutes les fois qu'il y aura dans le monastère quelque affaire importante à traiter, l'abbé convoquera la communauté tout entière, puis... Lire la suite >
Chapitre 2 de la Règle de saint Benoît (2015)

Publié le Jeu 17 Dec 2015 | Source Père Prieur
Commentaire du Chapitre 2 de la Règle de saint Benoît 1 L'abbé qui est jugé digne de gouverner le monastère doit se souvenir sans cesse du nom qu'on lui donne, et justifier par sa manière de vivre son titre de supérieur. 2... Lire la suite >
Chapitre Premier de la Règle de saint Benoît (2015)

Publié le Jeu 17 Dec 2015 | Source Père Prieur
Chapitre 1er de la Règle de saint Benoît 1 Il y a manifestement quatre sortes de moines. 2 La première est celle des cénobites, c'est-à-dire de ceux qui demeurent dans les monastères, militant sous une règle... Lire la suite >
Prologue (2015)

Publié le Dim 06 Sep 2015 | Source P. Prieur
1 Écoute, ô mon fils, les préceptes du maître et incline l'oreille de ton cœur ; reçois volontiers les conseils d'un tendre père, ... Lire la suite >